Vous voulez savoir comment faire un assemblage à queue d’aronde avec des outils à main ? Je vous propose un long tutoriel sans concession pour vous dire tout ce que je sais sur leur réalisation.
Les assemblages à queue d’aronde sont mythiques, ils fascinent. Ils peuvent être faits à partir de machines à l’aide de gabarit et de peignes. Ils sont donc réguliers.
Ici, j’ai envie de vous présenter leur réalisation avec des outils à main. Il n’y aura pas seulement d’explications sur comment les faire, mais également quelles sont les procédures pour ajuster son assemblage à la fin lorsqu’il n’est pas parfait. Cela vous fera gagner en précision.
Pour l’exemple, je vais prendre deux petites chutes de bois (une de tamarin et une d’érable), de couleurs et d’épaisseurs différentes.
Première étape :
On va devoir marquer une ligne qui va être la base de mes queues d’aronde et de mes contre-queues. Comme mes deux planchettes n’ont pas la même épaisseur, il faudra faire attention de reporter l’épaisseur de la planche de tamarin sur celle d’érable et réciproquement à l’aide du trusquin.
Je viens mettre mon trusquin en contact avec la planche de tamarin et je mesure ainsi son épaisseur, puis je la reporte sur la planche d’érable.
J’ai une belle ligne continue, mais elle n’est perpendiculaire qu’à la condition que mon extrémité auparavant était parfaitement perpendiculaire. Vous avez une précaution à prendre au niveau de l’équerre.
Maintenant, je fais de même avec l’épaisseur de la planche d’érable, je la mesure et la reporte sur le tamarin.
On n’a pas forcément envie de reporter au tranchet ou au trusquin, car cela fait une ligne qui va se voir à la fin. Cependant, si vous n’appuyez pas trop fort, en 2 ou 3 coups de rabot vous pouvez l’enlever. Cette ligne, va nous guider et nous aider lorsque l’on va poser le ciseau à bois. C’est important de la garder.
La théorie : Reporter la mesure des queues et des interqueues au compas
On va considérer que l’épaulement (trait rouge) est le même partout. Si on décide que les épaulements sont des demis interqueues, il va falloir travailler avec deux compas. Ici, on se placera dans le cadre où l’on travaille avec un seul compas.
On va prendre une ouverture de compas qui va correspondre à un épaulement (ou interqueue) et une queue d’aronde. On va appeler ça notre « Pas ». On va le retrouver deux fois. À la fin (à droite), il nous reste un petit espace qui va correspondre à une interqueue.
Vous faites vos essais avec votre compas. Vous avez une interqueue qui est trop grande ? Vous augmentez un petit peu le pas. Vous vérifiez. Une fois que vous avez un espace qui vous plait, vous allez reporter cette mesure de l’autre côté (en partant à droite sur le schéma).
Maintenant, j’ai mon point de départ (tout à gauche), le début et la fin de notre première queue, le début et la fin de la deuxième queue ainsi que le point de fin (toute à droite). On se retrouve avec tous les points.
Passons à la pratique :
Sur cette largeur de bois, j’ai envie de placer 3 queues d’arondes et il y aura 4 interqueues (plus précisément, 2 interqueues, 2 épaulements). J’ai envie que les interqueues soient fines. ATTENTION : Elles ne peuvent pas être plus fines que le plus fin de vos ciseaux à bois.
À l’œil, j’estime l’ouverture de compas. Je plaque sur le bord gauche et reporte trois fois cette ouverture. Là, je vais un petit peu trop loin. Je n’ai pas l’espace comme sur le dessin qui va donner la largueur de l’interqueue, la pointe doit arriver un petit peu en retrait.
Je réduis donc un petit peu l’ouverture du compas. Attention, cette réduction va être reportée trois fois. Je suis un peu trop fin, car mon ciseau est plus large. Cependant, il ne faut pas oublier que je vais avoir un angle et que je vais gagner très légèrement en épaisseur.
Je peux me permettre d’être très légèrement serré. Je réduis un tout petit peu mon compas.
Cette fois-ci je suis bien, je garde ce réglage. En partant de la gauche, je refais le report du compas en appuyant cette fois-ci plus fort afin de marquer les différents points. Puis je refais la même chose, en partant du bord droit.
J’ai maintenant mes 6 marques qui représentent les débuts et fins de mes queues d’aronde.
Pour tracer les queues, je vais utiliser cette équerre 1:8. Elle est droite sur le côté, mais sur le dessus à chaque fois que je descends de 1, je me décale de 1/8. Ou plutôt, à chaque fois que je descends de 8, je me décale de 1.
Cela permet de tracer directement les queues d’aronde. Là, je vais tracer leur dessus, donc je serais droit en haut. Pour le tracer des queues, une chose qui est importante, c’est de bien être perpendiculaire sur le dessus. Quand je vais scier, si je coupe à un angle qui est légèrement différent de 1/8, ce n’est pas bien grave étant donné que je reporterais le tracé de la coupe sur l’autre planche.
Je commence par tous les traits qui ont été faits à gauche. Puis dans tous les traits qui ont été faits à droite.
Je note d’une croix les parties que je vais retirer.
Pour ce travail, on va avoir besoin d’une scie qui est précise (une scie à queues d’aronde). L’avoyage des dents va être à peine supérieur à l’épaisseur de la lame. Attention, il faut couper bien perpendiculaire et bien sur les lignes qui sont sur le dessus, sinon on ne pourra pas faire notre assemblage. Si vous coupez avec un angle qui n’est pas parfaitement le bon, ce n’est pas bien grave. Vous vous mettez dans un angle qui vous semble correct et vous descendez le bras souple, de telle sorte que ça coupe droit.
Je commence en coupant au-dessus en faisant attention à être bien perpendiculaire. Si vous n’êtes pas sûre de vous, vous venez vérifier avec une équerre.
La vérification est bonne. Je scie maintenant en suivant au mieux l’angle des queues d’aronde. On surveille afin de ne pas dépasser pas le trait de la base. Il faut être souple au niveau du poignet pour que la scie glisse facilement. Avec une scie comme celle-là, si elle est partie sur une mauvaise trajectoire, ça ne sert à rien d’essayer de la redresser, vous continuez.
On a tous nos traits de scie, on peut voir qu’ils sont bien parallèles entre eux et perpendiculaires à la face de la planche. La prochaine étape que l’on peut faire avec la même scie, est de faire sauter les épaulements aux extrémités. Il va falloir couper sur le côté. Pour ce trait de scie, tout va dépendre de votre habileté. Soit vous sentez capable de couper directement sur la ligne de trusquin ou soit vous vous en approchez. Si vous n’êtes pas trop sûre, vous allez pouvoir vous éloigner. Si vous avez envie de prendre des risques et de couper directement sur la ligne, je vous propose de prendre un ciseau à bois et de préparer le passage de la lame en retirant un tout petit biseau. Cela permettra que les premiers coups de scie vont venir s’appuyer contre le mur qui a été délimité par le trait de tranchet.
Je vais renforcer un petit peu la ligne de tranchet (ou trusquin), puis je vais venir faire sauter le petit copeau.
Peu importe, comment je tiens la scie et où je la pose dans ce petit biseau. Elle viendra si je la pousse sans la guider, se poser directement contre mon trait de tranchet. Je sais que je vais être précis.
Les épaulements sont faits. Ils nous restent à découper les deux interqueues. Je propose de faire sauter la première avec une scie à chantourner. La lame fait à peu près 1mm, elle va réussir à tourner très précisément. La deuxième on peut simplement la faire au ciseau à bois par retournement.
Première méthode :
Je la descends la scie à chantourner dans le trait de scie que l’on a fait précédemment. Quand je suis au bout, j’ai mon équilibre. Je vais remonter un tout petit peu et en bougeant je vais la retourner un tout petit peu pour faire l’angle. Attention, la lame casse très facilement surtout dans du bois très dur.
On affine la découpe et on nettoie à l’aide du petit ciseau de tout à l’heure.
Deuxième méthode :
Je vais me mettre à plat avec un valet et fixer la pièce. Je prends un maillet, je vais faire comme pour une mortaise, travailler d’un côté puis de l’autre. L’interqueue est un peu plus large que le ciseau à bois. Ici, c’est important, car mon ciseau n’est pas un ciseau spécifique pour les queues d’aronde. Quand je vais aller dans les coins, je risque d’abimer mon trait de scie.
Je tiens mon ciseau à bois à la verticale, la planche éloignée du trait de trusquin. Je donne un premier coup, je continue à taper aux différents endroits et petit à petit je me rapproche du trait de tranchet.
Il faut faire très attention à ne pas abimer les deux arrêtes de chaque côté. Quand il me reste que quelques mm près de la ligne de trusquin, je me mets sur le trait et je descends.
Ce côté est fait, je retourne la planche. Je recommence comme précédemment à quelques mm du trait de tranchet et je nettoie la zone. Maintenant, on contrôle la géométrie de la première pièce avant de la reporter sur la seconde. Pour ça, il suffit d’avoir une petite équerre. On sait qu’on est d’équerre au-dessus depuis le départ, on a travaillé au trusquin donc normalement la ligne va être d’équerre. Il est vraiment important que les interqueues soient alignées et sur la ligne. Il faut que la ligne qui forme la base soit toujours bien des deux côtés. Il faut également qu’en rentrant l’équerre dans l’interqueue, il n’y ait pas de jeu des deux côtés. S’il n’y en a pas, je sais ainsi que je n’ai pas de point haut et que de chaque côté c’est au même niveau.
La vérification est faite, la base qui va être en contact avec l’autre planche est très propre.
Je vais maintenant reporter les queues et faire le tracer sur la deuxième planche. Pour cela, je vais immobiliser la planche vierge dans une presse. Pour la hauteur, je vais utiliser le rabot qui est très pratique pour ça. Je vais la placer à fleur du rabot. Je décale le rabot qui va me servir de support et je viens poser la première planche à cheval sur la deuxième et le rabot.
Dans le sens de la longueur, je suis bien réglé, mais je ne le suis pas sur les côtés. Pour cela, on prend une planchette qu’on vient poser sur le côté. Je mets une pression au niveau du tamarin dans la presse et je viens buter contre la planchette la pièce d’érable. Mes chants sont alignés.
Je vérifie une dernière fois que je suis toujours à fleur pour la longueur. Une fois que c’est fait, je ne dois plus la bouger et je mets une bonne pression sur la pièce d’érable. Un indice pour savoir que l’on a bien travaillé, on doit voir une fine raie de lumière.
À présent, je dois travailler au tranchet, car j’ai besoin d’être extrêmement précis et ce sera une ligne de référence. Plus elle sera fine, mieux ce sera. De plus, dans mes 4mm d’épaisseur je vais avoir du mal à placer un crayon.
J’aime bien travailler avec un trancher qui a un double biseau, c’est une question d’habitude. Je travaille qu’avec la pointe en orientant légèrement la pointe pour me plaquer contre le mur en bois que je viens de réaliser ici. Important : ne mettez pas de pression dans les premiers traits. Si vous êtes sur un bois de bout, vous risquez de partir dans n’importe quelle direction.
Je commence par faire plusieurs passages sans appuyer et petit à petit je marque.
Maintenant, je vais prendre mon équerre et la poser à fleur du trait. Je vais venir tracer la suite des petits traits d’équerre.
Je l’ai fait que d’un côté. Je sors la scie. On doit scier au bon endroit. L’avantage par rapport à tout à l’heure, c’est pour ça que je préfère commencer par les queues, c’est que là je vais scier dans un plan vertical et l’on a plus facilement de la précision.
Je me mets au ras du trait de tranchet sans le faire disparaitre.
On doit nettoyer les contre-queues, comme précédemment on a le choix entre travailler :
- Au ciseau à bois par retournement. L’avantage c’est qu’on est sur quelque chose de plus large.
- Avec la scie à chantourner, en connaissant les risques et en s’appuyant plus ou moins sur le trait de trancher.
Je vais utiliser la scie à chantourner. Comme avant, je descends au fond, je remonte très légèrement en gardant la même assise et je tourne sur place.
J’ai coupé à environ un millimètre de ma ligne de trusquin. Je vais ajuster tout ça à plat.
On pourrait me dire qu’au final je découpe à la scie à chantourner pour finir avec le ciseau à bois. Mais il y a un gros avantage, à aucun moment je n’ai eu à taper fort sur le ciseau à bois, il n’y a pas eu d’arrachement au milieu de la contre-queue. De plus, en m’approchant à environ 1mm du trait de trusquin, je peux mettre directement le fil, le coupant du ciseau à bois dans le trait.
Je vais faire les mêmes vérifications que précédemment. Vérifier avec l’équerre l’alignement de tous mes fonds de queues ainsi que l’équerre soit bien en contact à l’intérieur de la contre-queue. Sur cette dernière étape, je repère une erreur, quand je plaque l’équerre on repère un espace entre elle et le bois. Lorsque je mets l’équerre dans l’autre sens, je suis parfaitement en contact. Cela veut dire que sur ce côté-là (photo à droite), je suis légèrement plus haut.
On corrige la hauteur au ciseau à bois.
Je présente ici doucement sans forcer et je regarde s’il y a des erreurs ou pas. Cela semble être bon malgré un petit jour. Une autre vérification à faire importante est de contrôler que l’on soit bien à fleurs sur les extrémités. À gauche c’est parfait, mais à droite, je ne le suis pas. Je sens que ça force un tout petit peu sur la première contre-queue. Il faut y faire attention, le classique est que les deux contre-queues aux extrémités se fendent.
Je vais venir tapoter légèrement, il faut observer si en tapotant à droite cela fait remonter à gauche ou réciproquement. Cela va vous donner des indices sur les endroits qui vont être difficiles. J’enlève la planche d’érable. Ce premier boitement nous fait apparaitre plusieurs zones brillantes.
On a interdiction de toucher aux arrêtes des côtés présentant des zones brillantes jusqu’à ce qu’on soit complètement emboité. Je reprends très légèrement au ciseau à bois les traces brillantes, mais je le fais à l’intérieur de la face, je ne vais pas jusqu’à l’arrête au-dessus.
Une fois cela fait, je recommence l’emboitement à blanc. Je descends plus bas, mais j’ai encore un peu de blocage, j’ai toujours une pression sur la contre-queue à droite.
J’ajuste de nouveau au ciseau à bois. Je réemboite mon assemblage. Les deux premières queues sont bien alignées, mais pour la troisième, j’ai un léger défaut. Je décide de raboter les deux planchettes.
Le défaut est corrigé et l’assemblage est parfait !
Il y a des gens bien plus compétents et efficaces que moi sur tout ce qui touche aux assemblages à la main. Je pense notamment à Paul Sellers et Rob Cosman qui sont capables de faire des queues d’aronde deux fois plus rapidement et précisément. Quoi qu’il en soit, je vous ai partagé toutes mes petites astuces et mes méthodes pour faire un assemblage le plus précis possible.
Retrouvez tous les détails de ce Tuto en vidéo :
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